NOUVEAU RAPPORT : Principales tendances en matière de technologie culturelle

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La collection contemporaine pendant la pandémie : L’histoire de l’Île de Man

Katie King et Jude Dicken, du Manx National Heritage, partagent leurs expériences de collecte et de documentation de la pandémie de Covid-19 sur l’île de Man. Le projet impliquait de discuter de sujets très émouvants qui peuvent être difficiles à gérer et avoir un impact sur ceux qui mènent ce travail.

Cette histoire met en lumière les musées, les archives et les institutions patrimoniales en tant que lieux de transmission d’émotions et le rôle qu’ils jouent, non pas en racontant nos histoires pour nous, mais en nous donnant les moyens de les raconter. Des récits de vie et de mort, mais aussi de tâches quotidiennes banales, comme aller faire les courses. Tous ces témoignages sont essentiels pour donner aux générations futures un aperçu de la vie des habitants d’une île lors d’une pandémie.

Recueillir la Covid

Katie King (Conservatrice de l’art et de l’histoire sociale, Manx National Heritage) :

En mai 2020, nous avons lancé « Collecting Covid Isle of Man« . Cela faisait partie d’un effort pour capter l’expérience insulaire.

Nous ne savions pas combien de temps la pandémie allait durer. C’était une période très perturbante, notamment lorsque nos frontières se sont fermées. À partir de la fin du mois de mars 2020, personne ne pouvait venir ou sortir de l’île de Man. Je ne pense pas que cela soit déjà arrivé auparavant dans notre histoire. Les familles ne pouvaient pas rendre visite à leurs proches. Puis, notre gouverneur a décrété l’état d’urgence et pour certains, c’était très effrayant.

Au début, nous avons fait beaucoup d’efforts pour mobiliser la communauté en ligne, en utilisant notre patrimoine et notre culture afin d’essayer de garder les gens ancrés et occupés. Puis, nous nous sommes dit : « Au Manx National Heritage, nous faisons aussi de la collecte contemporaine ». Nous essayons de refléter la vie moderne, et c’était une période complètement hors de l’ordinaire sur l’île de Man.

Le projet consistait à rassembler des images, des expériences de la vie quotidienne et des objets pour refléter la vie sur l’île pendant la pandémie. Nous nous sommes d’abord concentrés sur le numérique parce que nous ne voulions pas enfreindre les règles liées à la Covid pendant le confinement. Nous ne voulions pas que les gens apportent des objets ou partent à leur recherche. Nous souhaitions que les personnes enregistrent leur expérience quotidienne. Nous tenions vraiment à immortaliser l’école à la maison, les sorties dans les magasins, la prolifération des dessins arc-en-ciel célébrant le NHS (service de santé national), et les applaudissements. L’idée était réellement de « recueillir votre histoire”.

Nous avons commencé par une campagne sur les réseaux sociaux, puis nous avons réalisé de nombreuses interviews avec la radio et la télévision locales. Nous avons également créé une page spéciale « Collecting Covid » sur notre site web.

Comme nous travaillions tous à distance, nous avons décidé de créer une boîte mail électronique spécifique à Collecting Covid, et nous recevons encore des contributions aujourd’hui. Ensuite, Jude (responsable de l’information sur les collections) et sa collègue Hannah Murphy (conservatrice adjointe de l’information sur les collections) ont commencé à cataloguer les propositions dans une zone de stockage temporaire et à leur attribuer un numéro de catalogue temporaire.

Nous remercions systématiquement tous les participants pour leurs contributions. Certaines étaient très émouvantes – sur le décès ou les funérailles – et ont reçu une réponse personnalisée.

Environ 300 photos ont été soumises, puis une trentaine de récits ou d’histoires, et enfin quelques objets. Nous avons utilisé les images pour promouvoir la collecte et essayer d’en obtenir d’autres.

Nous avons contacté une infirmière locale, en quelque sorte une influenceuse locale. Elle a été fantastique pour créer un buzz auprès de ses collègues du ministère de la Santé et des Affaires sociales et, par la suite, nous avons reçu encore davantage de récits et de photographies de travailleurs de la santé de l’île de Man.

2020-05-12_014 – Castletown Thanks the NHS: One of many digital submissions to our appeal for photographs reflecting Island life during the pandemic.
2020-05-12_014 – Castletown remercie le NHS (service de santé nationale) : L’une des nombreuses soumissions numériques à notre appel à photographies reflétant la vie sur l’île pendant la pandémie.

Le défi d’obtenir l’adhésion des institutions

Katie King:

Le projet a connu des difficultés, en dehors des restrictions évidentes liées au télétravail. On s’est également rappelé la nécessité de prendre en compte de multiples perspectives lorsque certains de nos collègues pensaient au départ que le projet pourrait être considéré comme indélicat. Nous avons dû rester attentifs à ce qui se passait réellement dans notre communauté locale et ne pas traiter ce projet comme un exercice de muséographie neutre. Une série de décès dans une maison de soins a vraiment fait prendre conscience à l’équipe de ce problème et nous avons pris la décision de retarder le lancement du projet.

Jude Dicken :

Bien qu’au départ, notre institution ait fait preuve d’une certaine nervosité en se demandant si, au milieu d’une grave crise de santé publique, c’était le bon moment pour réaliser ce projet, les attitudes ont changé. Les musées sont connus pour collecter des objets culturels « plus anciens », avec lesquels nous n’avons peut-être pas de lien émotionnel immédiat. Je pense que « Collecting Covid » a été un défi pour certains, car il a remis en question, à mon avis, l’idée erronée selon laquelle les musées ne sont pas là pour parler des choses qui se passent maintenant. De plus, comme nous sommes très intégrés dans la communauté, nous devions y être attentifs. La manière de gérer le discours sur ce sujet est bien sûr très importante.

Une réaction positive

Katie King :

La réception du projet a été extrêmement positive. De nombreuses personnes nous ont envoyé des e-mails pour nous remercier de leur avoir donné quelque chose à faire. En particulier ceux qui avaient connu une période de deuil, considérant l’enregistrement de leur récit comme une expérience cathartique.

Nous nous sommes également tournés vers un public légèrement différent – des personnes beaucoup plus jeunes et d’origines plus diverses que celles que nous rencontrons habituellement. Nous avons établi des liens au sein de la communauté avec des personnes qui ne sont pas des utilisateurs traditionnels des musées, qui ont reconnu qu’il s’agissait d’un moment capital, et souhaitaient que leur histoire soit enregistrée.

Nous avons pris la décision d’inclure dans la collection toutes les soumissions photographiques. C’était donc l’un des défis à relever : s’assurer que la résolution des images était suffisamment bonne. J’ai fait du support technique pendant un certain temps, en expliquant comment s’y prendre. L’intégration de ces documents dans la collection nationale a suscité un enthousiasme général.

NHS Super Hero: Covid 19 Ward Nurse Ciara Kilgallon was instrumental in helping us spread the message of our Collecting COVID Isle of Man campaign to NHS colleagues.
2020-04-21_002 – NHS Super Hero: Covid 19 Ward Nurse Ciara Kilgallon was instrumental in helping us spread the message of our Collecting COVID Isle of Man campaign to NHS colleagues.

Identifier les lacunes

Katie King :

En août 2020, l’équipe du musée, de la bibliothèque et des archives s’est enfin réunie en présentiel pour discuter du projet et identifier les manquements. Nous avions beaucoup de matière pour représenter l’enseignement à domicile, les magasins et la façon dont la vie avait changé. Cependant, nous manquions cruellement de matériel provenant de travailleurs clés, de chauffeurs de bus, de personnes travaillant sur les ferries ou à l’aéroport. Nous avions des photos de personnes faisant la queue pour obtenir de la nourriture, mais nous n’avions pas les expériences des personnes travaillant dans les magasins, avec toutes les complications liées à l’approvisionnement de l’île en nourriture lors de cette époque perturbée. Nous avons alors lancé une campagne plus ciblée pour recueillir les histoires manquantes, qui se poursuit encore aujourd’hui.

Nous avons collecté relativement peu d’objets, en partie parce que notre projet était plutôt axé sur le numérique. Cependant, nous avons recueilli des blouses, dont certaines ont été fabriquées dans des couleurs vives par une université locale, quelques arcs-en-ciel tricotés et toute une série de personnages habillés au tricot comme différents travailleurs clés.

Bizarrement, lorsque notre ministre en chef de l’époque, Howard Quayle, présentait ses briefings quotidiens à 16 heures, cela s’est transformé en un jeu de boisson pour certains membres du public en ligne. Ils buvaient une gorgée de vin chaque fois qu’il prononçait un certain mot à la mode. C’était connu sous le nom de Howard O’clock. Vous pouviez également acheter un t-shirt Howard O’clock ou une tasse, nous nous procurions donc des objets de ce genre. C’était dans les premières semaines de la pandémie, avant que l’île de Man ne connaisse son premier décès lié au Covid.

En termes d’archives, nous avons également rassemblé une sélection de titres représentatifs chez les marchands de journaux.

2020-05-12_005 – Governor Calls a State of Emergency: We physically collected a number of newspaper billboards reflecting the pandemic. This one is referring to our borders being closed from March 2020. They remained closed for 18 months.
2020-05-12_005 – Le gouverneur décrète l’état d’urgence : Nous avons physiquement rassemblé un certain nombre de couvertures de journaux reflétant la pandémie. Celui-ci fait référence à la fermeture de nos frontières à partir de mars 2020. Elles sont restées fermées pendant 18 mois.

À l’avenir, nous contacterons des personnalités locales clés pour obtenir leurs témoignages, notamment notre Ministre de la Santé et notre Premier Ministre. En raison de l’impact à long terme de la Covid et du fait que nous sommes encore en train de nous adapter à la vie avec les vaccinations, les contrôles aux frontières et les effets du long Covid, il est probable que notre collecte perdure pour refléter ces expériences.

Cataloguer les soumissions

Jude Dicken :

Pour les professionnels du patrimoine, des projets comme celui-ci vous mettent en contact avec des personnes qui souffrent. Comment recueillir leurs témoignages ? Lorsque nous avons commencé, nous ne savions pas vraiment quel genre de réaction nous aurions, si nous serions inondés ou n’aurions aucun retour. Quoi qu’il en soit, nous avons dû mettre en place un système pour gérer le flux de travail.

Nous avons commencé avec un Excel très simple. Au fur et à mesure que les e-mails nous parvenaient, nous copiions les coordonnées de l’expéditeur, la date de réception et l’objet qu’il avait donné à l’e-mail. Il est évident qu’ils ne pensent pas à un catalogue de musée et qu’ils ne vont pas vous donner des termes d’indexation précis ou le titre parfait. Ensuite, nous allons dans le corps de l’e-mail et prenons le contenu.

L’authenticité de la collection vient du fait qu’ils s’expriment simplement, avec leurs propres mots, donc nous ne cherchons pas à les réécrire dans un texte parfait. Nous avons conservé leurs propos, tels qu’ils les ont exprimés.

Nous n’avons pas voulu imposer aux gens des contraintes en terme de qualité d’image, nous n’avons pas voulu présenter de barrières. Nous voulions nous adapter aux personnes qui se promènent et prennent une photo avec leur téléphone. Il existe des projets basés sur la photographie professionnelle, mais ce que nous voulions, c’était un niveau d’authenticité différent, le pouce légèrement au-dessus de l’objectif de l’appareil photo et tout le reste.

En conséquence, nous avons reçu des images de petite taille ou intégrées dans l’e-mail plutôt qu’une pièce jointe soignée. Nous avons décidé de les conserver sous forme numérique, puis de les restituer sur papier. La durée de conservation des images numériques est une autre question. Et nous ne rendons aucun de ces documents publics pour le moment. Nous contacterons bien sûr les gens pour leur demander la permission d’utiliser leurs images à l’avenir.

Comme nous avons commencé en mai 2020, il était très important pour nous de faire preuve de réactivité. Nous devions agir assez rapidement, et nous ne pouvions pas suivre toutes les procédures habituelles pour les objets arrivant au musée, surtout lorsque nous travaillons tous depuis chez nous. Le but de notre collecte n’est pas seulement de fournir des objets à conserver à long terme dans nos archives et notre musée, mais surtout de promouvoir l’engagement immédiat de la population, de faire le lien avec l’expérience vécue. En tant que musée, nous sommes pertinents pour vous et nous voyons la pertinence de votre vie sur l’île de Man.

Nous travaillons donc sur les « mécanismes de la collecte » maintenant, après coup. Au départ, la priorité était de mettre rapidement en place un processus qui nous permettrait de commencer à collecter, puis de régler le reste plus tard.

À la fin de l’année dernière, nous avons pris la décision de procéder au premier téléchargement du document Excel dans notre système de gestion des collections Mimsy. Collecting Covid est une archive autonome dans Mimsy. Nous ferons des mises à jour périodiques au fur et à mesure que nous recevrons du matériel, car il s’agit d’une archive en pleine expansion. À un moment donné, nous devrons décider de la fermer aux nouvelles acquisitions.

Un sens de la responsabilité pour enregistrer les expériences des habitants de l’île

Katie King :

Je me sens responsable d’enregistrer les expériences des habitants de l’île. Je me sens coupable du fait qu’il y a des lacunes dans la collection et que nous n’ayons pas eu le temps de les combler. Je pense que nous n’avons qu’un quart de l’histoire de l’expérience de l’île. Et plus le temps passe, moins nous avons de chances de recevoir de nouvelles soumissions.

L’impact émotionnel du projet

Katie King :

Au départ, j’étais assez confiante dans le projet. Mais ensuite, en raison de la nervosité de certains collègues, j’ai commencé à me sentir anxieuse chaque fois que je regardais ma boîte de réception, je craignais que quelqu’un soit contrarié ou offensé. Au fil des semaines, je me suis rendue compte que le projet était cathartique pour les personnes qui soumettaient leurs histoires.

Une grande partie des premières soumissions concernaient des personnes séparées de leur famille et la perte de proches. Beaucoup de choses déchirantes en fait. C’était dur.

Mais ensuite, c’est devenu très léger, c’est devenu une question de communauté et d’esprit Manx. C’est devenu très amusant et beaucoup de photos étaient hilarantes. J’ai alors commencé à prendre plaisir à regarder la boîte de réception. C’est devenu une expérience enrichissante pendant le confinement.

Je traversais aussi une situation familiale compliquée à l’époque, ce qui a ajouté une couche à l’expérience. Et à la fin, j’ai soumis ma propre histoire parce que je voulais que cela sorte.

Jude Dicken :

Je pense souvent que les musées, les archives et les bibliothèques sont là pour offrir des « espaces ouverts » dans la communauté que les gens peuvent utiliser pour réfléchir et appréhender les événements qui se produisent aujourd’hui. La Covid a été très différente, mais ce n’est pas quelque chose de nouveau.

Par exemple, nous recevons souvent des enfants ou petits-enfants d’internés de la Seconde Guerre mondiale sur l’île. Il y a une émotion qui accompagne cette situation. Nous rencontrons des personnes qui ont des liens forts avec les collections que nous détenons ou les histoires que nous racontons dans nos galeries. Il ne faut pas donner l’impression que les gens pleurent tout le temps ! Parfois, ces émotions peuvent être très joyeuses ou très passionnées. Je pense que cela se produit tous les jours dans les musées, et pas seulement dans le nôtre. Les gens sont parfois surpris de l’émotion qu’ils peuvent ressentir en visitant un musée et en voyant un élément qui déclenche quelque chose de personnel. C’est pourquoi j’aime tant les musées, et je pense que nous y travaillons tous en raison de ce pouvoir qu’ils détiennent.

Les musées ont toujours été des lieux de transactions émotionnelles, ainsi que de recherche. Ce ne sont pas seulement des lieux secs. Mais je pense que la Covid a mis cela en lumière, plus que jamais.

Merci à Jude et Katie d’avoir partagé leurs expériences de travail pendant la pandémie.

Image d’en-tête :

2020-05-19_001 – Un groupe de bénévoles a fabriqué des centaines de blouses pour le personnel du NHS. Outre les photos, nous avons également recueilli un jeu de blouses.

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